vendredi 15 juillet 2011

Dis papa, c'est quoi la Légion d'honneur?

Lille, 14 juillet 2011.
Ben voilà, le Président de la République ( et un de ses scribouillards) a décidé de m'octroyer la très prisée Légion d'Honneur cette année.
Faut expliquer aux enfants à quoi ça correspond, pour eux, ce n'est qu'un morceau de ruban rouge avec une rondelle. Un jouet qu'il porte volontiers pour faire comme les grands. C'est aussi une médaille pour chanteurs à la mode ou footballeur surpayé, méritant ou pas..
Alors remontons à ces origines.
Pour cela, je ne vais pas me casser le pompon, il suffit d'aller sur le site consacré à la légion d'honneur : Les ordres nationaux français
Cà y est? Tu sais tout. Je vais donc apporter mes commentaires et mes impressions.
Tout d'abord sur cette décision d'attribution à ton papa. 30 ans de services militaires au sein d'unités parachutistes dures, des forces spéciales, dont 15 passés à l'étranger dans des pays au noms exotiques Congo, Tchad, Cameroun, Cambodge, Liban, Afghanistan, Calédonie, Guyane, Martinique, et autres non citables. Ça fait pas mal déjà. Une vie de bohémien, de mercenaire au service de la République, un corsaire. Ça en fait aussi des kilomètres de couleuvre à avaler...mais l'avantage, c'est qu'on le sait dés le départ.
De ces innombrables missions, il y a eu la Gloire, les médailles. 2 Citations, une croix de guerre, des lettres de félicitations des plus hautes autorités...Mon papa à moi, il continue de croire qu'on nous donne des médailles pour faire plaisir, comme ca, parce que ca fait partie du jeu. Parfois, oui,. Mais pas les faits de guerre qui sont bien des actions de guerre, où ma vie, celles des personnes qui m'accompagnent ou que je protège sont mises en danger de mort. Ce n'est pas un jeu, je vis, je meurs. C'est juste un rappel pour mon papa qui a fait l'Algérie, lui...Des Algérie, j'en ai fait dix depuis 1981.
Les innombrables sauts en parachute de jour, de nuit, à 200 métres, à 4 000 mètres, avec des charges de 60 kg, à poils, en mer, en foret, en montagne, partout dans le monde, sont autant de bons souvenirs même quand ca fait mal et qu'on vomit dans l'avion qui fait un vol tactique tous feux éteints pendant des heures. Des heures on on pense à ce qu'il va falloir faire une fois largué. Des heures où on pense à la famille, quand on en a encore une. Des heures à essayer de faire le vide pour se reposer un peu. Jusqu'à la délivrance, le saut. Le vide, le silence du vent qui fouette le visage, la nuit souvent trop noire pour distinguer quoique ce soit. Et puis l’atterrissage  je suis où? Où sont mes parachutistes? Personne n'est blessé? ET l'action. Plus tard, viendront les blessures physiques, la colonne vertébrale fatiguée, les opérations, les maux et les soins. Vieillir.
La Gloire, et la souffrance...ou l'indifférence. Les divorces. Les enfants qu'on ne voit pas. La stupidité des antimilitaristes primaires, les mêmes qui pleurent quand on prend un peu trop de précautions pour aller les extraire en Afrique, pays où ils s'engraissent au détriment des locaux. 
Mais peu importe, car chacun connait le poids de ses médailles, ce qu'elles représentent, pourquoi elles sont accrochées à nos poitrines. Chacune d'entre elles est un moment de notre vie, de ma vie. Derrière elles, il y a des visages, des odeurs, des images, des horreurs, des choses magnifiques. 
14 juillet 2011, place de la République. Le boulevard est fermé, la population lilloise est au rendez vous malgré le froid et la pluie. Nous sommes 14 futurs légionnaires. Ca y est, le signal est donné, nous avançons au pas cadencé vers le front de la tribune officielle. Un picotement agréable me surprend, me gêne. Mélange de fierté, d'impatience et de frustration.
Le général avance, prononce la formule consacrée  "Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur" et me décore. C'est un chef que j'apprécie depuis plus de 20 ans, il me glisse un petit mot qui me touche " tu ne l'as pas volé celle là..." qui vaut tous les discours à la con. Je regarde la tribune, je vois la maire de Lille et sa strass qui opine du chef à la lecture de ma carrière résumée en 20 secondes " vouée au très opérationnel, ponctuée d’innombrables missions dans le monde...". Je suis fier.
Et je suis triste. Pas un membre de ma famille, pas un seul de mes enfants et personne de cher pour qui le regard brillerait.
C'est tout ca, MA légion d'honneur.
Ainsi va la Vie.

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